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Aspects et enjeux sociaux du langage

Séminaire

Le 11 mai 2021


Gaëlle Planchenault, (Simon Fraser University, Canada)

Polyphonie de la voix au cinéma

Dans cette conférence, je présenterai un panorama des 15 dernières années de ma recherche sur les voix au cinéma —voix accentuées telles qu’interprétées par un.e acteur-trice, voix racialisées caractérisant un personnage ou encore voix traduites lors de la diffusion internationale d’un film.
Se définissant par une nature interdisciplinaire au croisement de l’analyse de discours médiatique (Fairclough 1989, 1995), des études culturelles (Hall 1997) et de l’anthropologie linguistique (Silverstein 1979, Gal et Irvine 1995), mon travail de recherche a approché cet objet sous différents angles qui m’ont amenée à m’interroger de manière répétée sur les phénomènes de polyphonie présents dans les performances verbales au cinéma.
Je commencerai cette présentation par ma recherche sur le dédoublement des voix qui prend place lors de la synchronisation-traduction d’un film – moment délicat dont le succès de l’exploitation à l’étranger peut dépendre. Le choix du lexique est déterminant dans le fait d’emporter ou non l’adhésion du public visé. Dans le cas du film-documentaire américain Rize (LaChapelle 2005), j’ai observé la traduction du vernaculaire africain-américain par des éléments emblématiques du français des banlieues, soulignant un amalgame entre deux histoires et deux systèmes de représentations.
Dans un deuxième temps, je discuterai de mon travail sur la mise en scène des variétés non-standards. Illustrant mon propos par l’étude d’un genre verbal développé au cinéma et dans les médias, l’ « anglais avec un accent français » (‘French-accented English’ –Planchenault 2015), et en me concentrant sur le personnage de l’inspecteur Clouseau dans les films de la Panthère rose (1964, 1964, 1975, 1976, 1978, 2006), je montrerai que ces « mises en voix » nous informent davantage sur les idéologies langagières partagées que sur les pratiques verbales réelles des communautés dont les variétés sont mises en scène.
Dans un troisième temps, je proposerai une présentation de mon travail récent sur les voix racialisées des femmes Maghrébines-françaises de deuxième génération. Par le biais de l’étude d’extraits des films Fatima (Faucon 2015) et Divines (Benyamina 2016), je développerai l’argument que le marquage de ces voix – non pas par un accent ethnique (comme c’était le cas des personnages de mères) mais par un accent social –  traduit un phénomène de racialisation camouflé.
Ces trois parties me permettront ainsi de réfléchir à l’interaction entre différents niveaux de voix (‘voix par’, ‘voix sur’, ‘voix à travers’) et de m’interroger sur la dynamique d’un phénomène qu’on pourrait nommer, sur le modèle du concept d’intertextualité, « intervocalité ».  
Références :
  • Fairclough, N. (1989), Language and Power, Harlow, London, New York: Longman.
  • Fairclough, N. (1995), Media discourse, London; New York: E. Arnold.
  • Gal, S. and Irvine, J. (1995), ‘The boundaries of languages and disciplines: How ideologies construct difference’, Social Research 62(4): 967-1001.
  • Hall, S. (1997). The work of representation. Representation: Cultural Representations and Signifying Practices, 2, 13–74.
  • Kozloff, S. (2000), Overhearing film dialogue, Berkeley, Calif: University of California Press.
  • Silverstein, M. (1979), ‘Language Structure and Linguistic Ideology’, in P. Clyne, W. Hanks, and C. Hofbauer (eds), The Elements, Chicago: Chicago Linguistic Society, pp. 193-248.

Guillonne Balaguer Laboratoire LIDILEM

(directrice de thèse : Claudine Moïse)

En pas chassés : recherche-création en sciences du langage, une enquête poétique et sociolinguistique

Ce projet de thèse en recherche-création entrelace poésie, performance et sociolinguistique dans une enquête ethnographique sur la pratique féminine de la chasse en France aujourd’hui.
Sociolinguistique et création artistique y sont envisagées comme expériences, traversées (voir Philippe Lacoue-Labarthe 1986, sur l’expérience comme traversée d’un danger), pratiques d’altérité, et menées conjointement. La recherche-création se développe ces dernières années de façon protéiforme, encore non normalisée. Art et science y sont mobilisées sur le mode du dialogue, de l’aller-retour via des collaborations entre artistes et chercheureuses, ou de façon consubstantielle, dans des modes d’entrelacement brouillant significativement les frontières. Comment articuler ces différents modes du chercher en sciences du langage ? Quelle circulation trouver entre poésie et sociolinguistique, sans instrumentaliser la poésie, en  s’assurant de la scientificité de la démarche ?
Me situant comme poétesse et chercheuse (doctorante chercheuse), j’expérimente dans ce travail une forme in vivo de la recherche-création, c’est-à-dire en première personne (pour reprendre les termes de Danielle Boutet, 2018). Une forme que j’imagine en pas chassés, glissant latéralement de la démarche scientifique à la création et inversement, chacune se rapprochant continûment l’une de l’autre, dans un même pas. Si la répétition du chassé permet l’exécution d’un galop continu (Larousse en ligne), je tente pour ma part d’avancer pas à pas, sans galop mais bien en continu dans ce double mouvement, vers une perception, aperception, interprétation ou connaissance du terrain - tout en interrogeant l’hybridation des champs, via une méthode réflexive et une mise en perspective épistémologique.
Cette répétition du chassé se concrétise, pour le moment, en vecteurs, perspectives, réalisations diverses : un texte poétique en lien aux notes de terrain (en cours), une transcription d’entretien sous forme de partition (en projet), le récit poétique d’une performance réalisée dans le cadre de l’enquête (passage du permis de chasser, en cours). Le texte met en acte et en oeuvre la langue cynégétique, la performance et son récit permettent de circuler d’un milieu à un autre, la transcription-partition souligne les ponctuations d’un discours, tente de saisir autrement la parole : chacun de ces moments s’inscrit comme un pas de plus dans la recherche, l’analyse, la perception du terrain. En quoi ces dimensions viennent irriguer, nourrir ou modifier l’approche sociolinguistique, ou en quoi la sociolinguistique vient altérer, transformer ou enrichir la pratique poétique, c’est un des enjeux de mon travail de thèse de le découvrir.

Références :
  • Boutet, D. (2018). La création de soi par soi dans la recherche-création : Comment la réflexivité augmente la conscience et l’expérience de soi. Approches inductives : travail intellectuel et construction des connaissances, 5(1), 289-310. https://doi.org/10.7202/1045161ar
  • Lacoue-Labarthe, P. (1986 [2015]). La poésie comme expérience. Paris : Christian Bourgois
  • Larousse en ligne. Chassé : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/chassé/14858  (page consultée le 23/04/2021)

Date

Le 11 mai 2021

Publié le 4 mai 2021

Mis à jour le 7 mai 2021